Qu’est-ce que le Transpersonnel ?
De plus en plus, nous constatons l’intérêt et l’attrait qu’exerce le transpersonnel sur de nombreux psychothérapeutes ou des personnes en quête d’elles-mêmes. Nous ne pouvons plus être réduits aux limites définies par notre ego, l’évidence d’une dimension plus vaste de notre être s’impose à nombre d’entre nous. Dans le même temps, dans la patrie de Descartes où la pensée logique et matérialiste s’impose, ce qui touche au spirituel, au transpersonnel – en lien avec la psychologie ou la psychothérapie – peut être mal considéré, jugé comme peu sérieux, ou associé à des processus qui peuvent être considérés comme sectaires.
Le transpersonnel, c’est un mouvement en plein essor. Créé- en tant que tel – dans les années 60 aux Etats-Unis, il réunit de nombreux chercheurs de différentes disciplines et donne lieu à nombreuses élaborations théoriques novatrices. Le transpersonnel nous ouvre de nouvelles perspectives dans la compréhension des sciences de l’esprit, des relations entre le monde de la matière et le monde de l’esprit.
Il est particulièrement intéressant de constater que la pensée transpersonnelle se trouve à un carrefour fécond où se sont rencontrés des scientifiques de pointe comme Rupert Scheldrake et son concept des champs morphogénétiques, Ilya Prigogine et ses structures dissipatives, David Bohm avec la pensée holonomique, etc. …
Et pour citer Grof, dans son livre Le Jeu Cosmique, « Ces nouvelles théories montrent de plus en plus de convergence et de compatibilité avec la vision mystique du monde et les découvertes de la psychologie transpersonnelle. Elles fournissent également une ouverture nouvelle vers les sagesses traditionnelles rejetées et ridiculisées par la science matérialiste.
Le rapprochement de la vision du monde des sciences « exactes » avec celle de la psychologie transpersonnelle est certainement un phénomène très enthousiasmant et très encourageant. » *
L’autre source d’inspiration qui croise à ce carrefour des données récentes de recherches scientifiques est issue des courants spirituels et des traditions mystiques millénaires. De même que les débats inter religieux, ceux entre science et spiritualité sont passionnants et indispensables à une compréhension mutuelle ; Mathieu Ricard et Trinh Xuan Thuan (2000) en soulignent les analogies, les convergences mais aussi les spécificités dans un souci permanent d’écoute et de respect mutuel. Et Grof ajoute que « la croyance selon laquelle science et religion sont obligatoirement incompatibles reflète une incompréhension fondamentale de leur propre nature.
Correctement comprises, une véritable science et une religion authentique sont deux approches complémentaires de l’existence n’entrant d’aucune manière en compétition. Comme Ken Wilber le fait si habilement remarquer, il ne peut pas réellement y avoir de conflit entre religion authentique et science véritable. S’il y a conflit, il est vraisemblable que nous avons affaire à une « fausse religion » et/ou à une « fausse science ». »
En référence au transpersonnel, on parle volontiers d’un nouveau paradigme, c’est-à-dire, d’une conception globale des théories de référence permettant de comprendre le fonctionnement de l’homme dans ses relations avec l’univers. L’ancien paradigme newtonien-cartésien s’appuyait sur une vision matérialiste et linéaire de la réalité. Le nouveau paradigme transpersonnel conçoit l’univers comme un hologramme et la réalité habituellement perçue et vécue comme un simple registre d’expériences parmi d’autres possibles et non pas comme la réalité ultime.
Je voudrais encore évoquer deux ou trois notions très importantes, voire essentielles quand nous parlons du transpersonnel.
Nous venons de parler de paradigme spiritualiste. Dans cette vision, l’homme est habité par un besoin qui n’est pas pris en compte par les approches psychologiques à dominante matérialiste, c’est le besoin de transcendance, un besoin profond, fondamental de sortir du cadre étroit et restrictif de la réalité ordinaire conventionnelle. Et dans cette vision transpersonnelle, l’essence de l’homme est spirituelle. Mais il n’y a pas d’antinomie entre l’esprit et la matière, puisque tout est “Un” comme nous le disent les grands sages de différentes traditions.
Jung, Maslow, Rogers ont été les préfigurateurs de cette nouvelle psychologie. Maslow en nous ouvrant sur une psychologie du développement nous fait apparaître que l’état de santé optimal d’un individu n’est ni la disparition de ses symptômes ou de son mal-être, ni même l’amélioration du fonctionnement de son ego, mais le dépassement même de cet ego pour s’ouvrir à une réalité plus vaste où la personnalité (le moi, l’individualité) disparaît pour faire place à une, ou des expériences que nous appellerons transcendantes sans entrer pour le moment dans le détail de leur description. Certains des articles qui vont suivre nous en diront plus. On ne peut donc pas séparer la psychologie transpersonnelle de l’étude des Etats Modifiés de Conscience qui en sont un des piliers. Là encore, changement de vision : pour la psychologie et la psychiatrie occidentale, les états de conscience autres que l’état de veille ordinaire ont été assimilés à des dysfonctionnements pathologiques qu’il convient d’éradiquer éventuellement par des médications lourdes et suppressives.
Les psychologies et psychothérapies transpersonnelles attirent au contraire notre attention sur le fait que – sans nier les épisodes délirants et autres hallucinations psychotiques – nombre d’expériences s’inscrivant dans un autre ordre de réalité, nous mettent en relation avec d’autres dimensions de notre conscience et nous permettent de prendre conscience et connaissance de notre réalité la plus profonde.
Les travaux de Wilber, Grof, Weil, Tart, etc. …, nous démontrent combien il est important de donner la possibilité aux individus – dans des conditions bien encadrées sur un plan thérapeutique – de pénétrer dans les royaumes de l’inconscient humain pour connaître “qui nous sommes vraiment”.
Toutes les théories émergeant du mouvement transpersonnel, de ce nouveau paradigme, ou comme le dit Marc-Alain Descamps, cette deuxième renaissance, sont en cours d’élaboration et demandent à être approfondies, développées. Le champ d’investigation est vaste, mais gardons à l’esprit que les théories ne sont jamais la réalité, elles ne sont qu’une tentative de la décrire, pour s’en approcher le plus possible en fonction des connaissances du moment.
Nous sommes dans un mouvement en marche, peut-être que dans quelques dizaines d’années, nos outils d’investigation de la conscience humaine et de la structure du vivant nous permettront d’aller beaucoup plus loin.
Il est très difficile de trouver un langage adéquat pour parler des expériences transpersonnelles. Ceci est si vrai que plusieurs auteurs nous disent parfois que seule la poésie ou l’art peuvent nous permettre de nous en approcher au plus près. Et cela alimente les craintes de certains qui assimilent un peu rapidement les recherches sur la conscience à la soupe spiritualiste servie par de faux gourous en recherche d’adeptes. Le transpersonnel en s’ouvrant et en nous ouvrant à des dimensions peu explorées encore par la science dérange et n’est pas toujours compris de ceux qui restent ancrés dans l’ancien paradigme de la vision matérialiste et mécaniste.
Nous sommes à l’heure de dévoiler et de révéler la nature de ces royaumes de l’inconscient humain et collectif. Pour nous développer et progresser dans la compréhension de qui nous sommes, nous en avons grand besoin.
Bernadette Blin
* Grof, Stan (1998). Le Jeu cosmique, éditions du Rocher