Slow loving bio
Près d’un mariage sur deux se terminerait par un divorce (1). Si les causes avancées lors de la séparation renvoient principalement à des questions concrètes (infidélités, finances…), les statistiques ne semblent pas s’intéresser à un facteur plus subtil “d’échec” conjugal: dans une culture globalement marchande, le couple est soumis aux diktats conjugués de la rentabilité et de la performance.
Frénésie du progrès oblige, tout va trop vite, on ne se donne plus le temps d’apprendre à s’aimer. La modernité pipe sciemment les dés de la providence en nous incitant à nous caster sur un site ou lors d’un speed dating, à nous consommer rapidement pour évaluer nos compatibilités grâce à l’évaluation orgasmique, le tout avec l’aval enthousiaste de médias opportunistes qui n’hésitent pas à détourner la science pour mieux nous extravertir (2).Pour les compulsifs de l’engagement, inutile de perdre son temps à comprendre ou canaliser ses pulsions, encore moins de bouder son plaisir, puisqu’il est désormais possible de se faire rembourser ou dédommager lorsqu’on se quitte(3)! Une fois disponible, il suffit de se signaler – à moins d’avoir été déjà repéré(e) par des usagers en manque – pour retourner sur le marché. Là encore, que les moins attractifs d’entre nous se rassurent, la société regorge d’experts sur lesquels miser pour optimiser son potentiel ou l’adapter aux valeurs du public cible. Et si en plus d’être has been ou non standard vous êtes fauché(e), dites-vous que la grande distribution est une formidable tendanceuse: si elle a foi aujourd’hui dans les légumes “moches”, tous les espoirs de créneau pour caser demain les humains disgracieux restent permis…
Allergique à la culture télévisuelle mondialiste, la société de consommation ludique et sa foule d’obèses m’écoeurent. Frigide face à tout ce bonheur artificiel et édulcoré, je tente bravement d’échapper aux définitions extérieures de mon identité. Il en résulte de grands moments de solitude mondaine dont j’ai appris à rire à défaut de les aimer, peut-être parce que toute forme de jeûne éclaircit les idées? Que ce soit par snobisme, immaturité ou hyper-lucidité matinée d’éveil spirituel, je ne peux me résoudre à devenir pour autrui un produit. Je refuse d’être envisagée comme une affaire, bonne ou mauvaise, à promouvoir ou à solder, de devoir justifier de ma traçabilité. J’assume le risque d’être démodée, peu concurrentielle, de ne jamais connaître la gloire des têtes de gondoles affectives, voire de périr abandonnée des happy few sur l’étagère de l’ErosMarket de la vie. Après quelques années hors circuit, ce qui me ferait vraiment envie aujourd’hui c’est du “slow loving bio”. Attirer par hasard le regard d’un flâneur, un promeneur qui prendrait le temps de s’intéresser aux paysages humains que longe son existence. Laisser monter, au-delà de toute coquetterie, le désir d’y répondre. Sentir l’envie de se découvrir et s’explorer, motivés par une curiosité exempte d’avidité. Effeuiller nos âmes pour mieux les savourer, sans empressement ni finalité. Se rendre compte un jour que des années ont passé, sans que l’ennui n’ait pointé le bout de son nez ou que l’obsession d’avoir fait le meilleur investissement ne nous ait séparés. S’apercevoir alors que nous n’avons eu besoin d’aucun coaching, d’aucun manuel ou relooking pour réussir à nous aimer, tels que nous sommes.
(1) voir par exemple sur www.jurifiable.com
(2) allusion à un récent programme télévisuel où des candidats sont mariés à l’aveugle, sur la base de leur compatibilité biologique
(3) lors d’un divorce, il est possible de demander une “indemnité compensatoire”