Paule Lebrun
« Toute la culture est en manque de soul. »
Propos recueillis par Delphine Lhuillier et Sandrine Toutard.
De quoi les jeunes d’aujourd’hui ont-ils besoin ? Et si nous devions réinstaurer des rites de passage pour les adolescents ? Pionnière au Québec du changement de paradigme dans nos sociétés, Paule Lebrun apporte des réponses à ces questions.
En quoi consiste le rôle de meneur de rites ou de guide en rites de passage ?
Je reprends ici l’idée chère à James Hillmann, un grand psychanalyste et mythologue dans la lignée de Carl Gustav Jung, qui nous parle de l’importance de « fabriquer de l’âme » dans une société temporairement dépourvue de mythes significatifs. J’aime ainsi définir le travail rituel tel qu’on le décrivait parfois autrefois, comme une sorte de soul’s work.
L’idée de « fabrication » a quelque chose d’artisanal, elle suppose un travail patient, une attention soutenue, du soin et a souvent à voir avec la beauté. Pour parler de l’âme, qui reste dans nos sociétés un mot flou souvent associé à la religion, j’aime évoquer par analogie le « soul » du blues. Toute la culture est en manque de « soul ».
Et de quoi se nourrit l’âme humaine ?
De silence, de beauté, de cérémonies, de nature, de proximité avec les mystères de la vie, de chants, de danses, de musiques, de participations collectives et cosmiques. En ce sens, notre travail est plus près de l’art que de la thérapie.
Pourquoi Paule notre société a-t-elle aujourd’hui de moins en moins de rituels et de rites de passage ?
Dans toute société où la mort est occultée, les rites de passage sont aussi occultés. Plusieurs chercheurs font état de cette double disparition. Le rite de passage est la mise en scène de l’acte de mourir et de renaître. Il demande une relation avec la mort différente de celle que nous avons. Au moment où l’on a commencé à vouloir vaincre la mort et l’opposer à la vie, nous avons laissé les vieilles structures initiatiques derrière nous. Autrefois, la mort ne s’opposait pas à la vie mais bien à la naissance. Et la mort n’engendrait pas plus de mort, mais engendrait la vie. La nature nous montre ça ! Selon Mircea Eliade, la différence majeure entre les sociétés traditionnelles et les sociétés contemporaines réside dans la perte de rites initiatiques dans les sociétés contemporaines.
Pourquoi croyez-vous que nous ayons besoin de rituels et de rites de passages ?
Le besoin d’altérer la conscience, de se rappeler périodiquement d’où l’on vient et qui l’on est, est un besoin fondamental. On peut le réprimer, mais on ne peut pas l’éliminer. Réprimé, il prend toutes sortes de formes étranges ou perverties tels les phénomènes de dépendance ou de violence. Beaucoup de jeunes aujourd’hui vont à l’école. Ils sont saturés d’informations et entrent dans leur vie adulte sans aucune éducation de l’âme. Ils passent à travers des crises existentielles, se résignent à vieillir et meurent sans même s’être rencontrés et avoir compris ce qui a tant manqué dans leur vie. Ces individus non initiés, sans repères, engendrent une société d’éternels adolescents voulant toujours plus de jouets. Il serait intéressant de faire un lien entre la consommation à outrance et le manque de rites initiatiques chez les jeunes gens et jeunes filles. Plus que jamais dans cette période collective d’entre-deux (moment où l’initiation a généralement lieu) où la mort rôde, où le déni de masse est total, où le désespoir et la violence sont à l’état endémique dans le milieu urbain, nous allons avoir besoin de contenants rituels, soutenus par la société, extrêmement solides.
Quelle est la différence entre le rituel, le rite de passage et la thérapie ?
Le rituel, disait un de mes amis africains, est la dimension indigène de la thérapie. A la différence que le rituel, comme le rite de passage, fait appel à toute la communauté. Le rite de passage est une série de rituels qui suit une structure archétypale très précise. Elle a pour but de marquer le participant de telle sorte qu’il ne puisse redevenir « comme avant ». C’est un rite de transformation. La posture existentielle de l’intervenant est selon moi différente de celle du psychothérapeute. J’utiliserais le mot célébration pour exprimer la posture du meneur de rites. Il y a dans la célébration deux composantes polarisées : la célébration est à la fois festive et sacrée. Cette double qualité, passée la polarité, devient une sorte de paradoxe et c’est de cette intelligence paradoxale dépolarisée, signe de maturité, dont la société, d’après moi, a grandement besoin.
Festive et sacrée ?
Oui, sacrée. Lors du rituel, les personnes viennent participer à un Mystère. C’est ce qu’elles recherchent. L’Amour et la Mort demandent à être vécus comme des Mystères. Dépouillez ces phénomènes de leur magie et vous aurez une société complètement désenchantée. L’anthropologue Barbara Ehenreich a bien montré comment le festif, l’impulsion de joie collective qui s’est historiquement exprimée via les danses, les chants, les costumes, les festins, toute forme d’expression ritualisée de joie collective, a été progressivement et systématiquement supprimée depuis la fin du Moyen-âge. Et ce, non seulement chez les peuples colonisés, mais dans notre propre société. Danser dans les rues, chanter dans les rues, toute forme d’expression corporelle spontanée, est vu comme dangereux. Populairement, la célébration se présente souvent comme une fête perpétuelle, une sorte de « défonce », ce qui est une dégradation du sens originel. Mais si on y regarde de près, la célébration est en fait une sorte d’ascèse. Quoique la vie donne, on le célèbre, on l’honore, on l’exprime, on a de la gratitude. En tirant le fil de la « célébration », on aboutit inévitablement au mot « merci » ! La célébration exhale un parfum de gratitude. A noter que le rituel reste toujours une célébration, même au cœur des horreurs de ce monde. Ainsi un deuil bien ritualisé entraîne tous les éléments expérientiels ci-nommés incluant la gratitude, tandis qu’un deuil mal vécu entraîne un sentiment de perpétuel entertainment qui se développe ultimement en cynisme.
Est-ce que le rituel ou le rite de passage est toujours d’essence religieuse ?
Le rituel a toujours une dimension sacrée. Il vise à vous inscrire dans quelque chose de plus vaste que vous-même. Mais le rituel n’est qu’un outil. Il est une forme neutre. Il a contribué à bâtir les jeunesses hitlériennes dans les années 1940 ; il peut être appliqué au fondamentalisme religieux et peut devenir un extraordinaire outil de contrôle. Il peut aussi servir pour bâtir des communautés aimantes, conscientes et responsables.
Comment pouvons-nous réintroduire ces rites de passage ?
Je ne sais pas si nous pouvons réintroduire massivement les rites de passage dans une culture ou le paradigme économique prévaut sur toute réalité existentielle. Mais je crois que toute cette « sous-culture » d’expérimentation et de retour vers l’intérieur issue des années 1960 à laquelle « Génération Tao » comme « Ho rites de passage » se greffent, porte une révolution d’essence métaphysique qui ne fait que commencer.
Site de Paule Lebrun – Ho rites de passage www.horites.com/Equi__Paule_Lebrun.html