Les chemins du stress
De la peur à la transformation
La peur et le stress sont communément jugés négatifs, mais considérés sous l’angle des neurosciences, ils s’avèrent un facteur majeur d’adaptation pour les individus et pour les sociétés. Les travaux des chercheurs, notamment ceux du Pr. Gerald Hüther(1), nous apportent un éclairage passionnant à ce sujet.
Un état physiologique naturel
Sur nos chemins de vie, les changements et les incertitudes s’accumulent. L’insécurité et même notre propre libre-arbitre nous effraient. Qui n’a jamais éprouvé un jour le sentiment de la peur et son cortège de réactions ? Cœur qui s’emballe, transpiration, foie en vrac… autant de sonneries d’alarme qui retentissent à travers notre corps.
La peur est un état physiologique naturel. A l’origine, une information qui fait irruption dans le cortex, en haut du cerveau, et bouleverse les processus routiniers. L’agitation gagne ensuite les neurones des niveaux plus profonds et des zones cérébrales supérieures. L’alerte maximum est alors atteinte. En quelques fractions de seconde, chaque organe comprend le signal. Des substances sont libérées, notamment deux hormones de stress : l’adrénaline et le cortisol, dont les effets sont plus tardifs et très profonds.
Les chemins neuronaux
Le cerveau humain a évolué au fil du parcours de l’évolution et de l’histoire, largement marqué par les peurs de nos aïeux lointains ou proches. Le stress a veillé sans cesse à la stabilisation des programmes génétiques, tout en faisant croître la taille du cerveau et en le rendant plus apte à apprendre. Durant nos premiers mois de vie, l’activation du système noradrénergique(2) du cerveau contribue au frayage des circuits responsables du sentiment de sécurité, sentiment que connaît chacun de nous quand il naît. Mais au plus tard, à la naissance, nous découvrons la peur.
Des chemins neuronaux (neuronal pathways) spécifiques et des stratégies comportementales se développent progressivement dans notre cerveau. Leur structure détermine nos pensées, nos émotions et notre comportement. Celle-ci varie selon nos préoccupations, nos activités, nos émotions et sensations récurrentes. Ces circuits nous aident à vivre les reliefs de notre vie, mais à un moment donné, quelque chose détruit nos certitudes. La peur survient dès que nos représentations du monde ne correspondent plus à la réalité que nous vivons. La peur est subjective : la probabilité que j’aie peur dépend de la façon dont j’évalue ma situation et des expériences que j’ai vécues. En cas de stress très puissant, parfois incontrôlable, nous errons dans un labyrinthe, essayant d’activer au milieu de milliards de neurones le bon circuit, la bonne stratégie, pour résoudre le problème.
Des voies sans issue… à l’ouverture
Tenter d’éviter systématiquement tout ce qui est susceptible de déclencher la peur est d’évidence une voie sans issue. En revanche, un sentiment peut l’emporter sur la peur : l’amour. Les personnes dont la capacité d’aimer est assez grande pour inclure tout ce qui les entoure sont presque affranchies de la peur. Mais elles sont très rares. En réalité, pour surmonter la peur, il n’existe que deux options : remodeler le monde extérieur afin qu’il coïncide à nouveau avec nos conceptions, ou bien adapter nos représentations personnelles aux réalités extérieures.
La majeure partie du temps, nos pensées glissent systématiquement dans des tracés anciens, confortables, dont nous n’avons pas conscience. Il est difficile d’y échapper. Et c’est là justement que le stress est précieux : il révèle que certains chemins sont à présent des impasses et permet l’émergence d’autres voies. Il existe en effet un mécanisme intégré d’adaptation des chemins neuronaux aux aléas de la vie. A notre insu, les vagues d’hormones de stress qui déferlent les unes après les autres sur notre cerveau désagrègent les sillons et les spécialisations, tout ce qui nous empêchait d’essayer d’autres directions – corporelles, émotionnelles, psychiques, mentales.
Ainsi, en réalité, le stress est une clé de transformation majeure. Et ce qui est vrai pour les individus vaut aussi à l’échelle collective : quand la peur augmente (comme aujourd’hui dans les pays développés), c’est le signal pour des millions de citoyens qu’il est temps de changer les conceptions du monde et les modes de vie ou de survie qu’elles ont générés. Une fois les autoroutes du cerveau démantelées, la percée de conscience est possible, nous avons la liberté de nous ouvrir à de nouvelles inspirations. Qu’en dites-vous ?
(1) Gerald Hüther dirige le département de recherche fondamentale de neurobiologie du Centre Hospitalier Universitaire psychiatrique de Göttingen et le centre de recherche préventive de neurobiologie de l’université de Göttingen et Mannheim/Heidelberg. Il est auteur du livre « Biologie de la peur », éd. Le Souffle d’Or.
(2) Système noradrénergique : la partie principale de ce système est issue de groupes cellulaires situés au niveau du locus coeruleus, impliqué notamment dans la peur.