De l’art délicat d’être parent
Comme l’a si joliment rappelé Khalil Gibran dans le Prophète, nos enfants ne sont pas des prolongements de nous-mêmes, ils n’ont pas vocation à accomplir nos espoirs déçus ou à soigner nos blessures. Il aurait pu ajouter qu’être tuteur d’une jeune pousse humaine ce n’est pas se muer en béquille, et que tout l’art de la parentalité pourrait se résumer à trouver la juste distance entre soi et l’autre.
Sauf accident nucléaire de parcours, la survie de l’espèce humaine est largement assurée. Si procréer n’est plus une nécessité ou une fatalité, ce choix génère une pression grandissante car la parentalité est devenue une compétence comme une autre. Le souci d’efficacité de nos sociétés matérialistes nous pousse à la développer pour être plus performants ce qui peut transformer l’alliance en compétition larvée au sein du binôme parental. Dans la famille-entreprise aussi il faut désormais optimiser ses ressources et se dépasser, quitte à instrumentaliser l’enfant pour booster son estime de soi ou se désolidariser d’un maillon faible (1).
Plus les parents recherchent l’approbation sociale, plus ils tendront à formater l’enfant aux tendances culturelles, rognant au passage sur son individualité et son droit à la vulnérabilité. Plus ils projetteront sur lui leurs carences affectives, plus ils tendront à éloigner de lui toute forme de souffrances , le comblant au-delà de ses désirs ou inhibant son sens de l’effort. Au bout du compte, ces deux styles éducatifs étiolent la combattivité que requiert la vie, avec pour conséquence de transformer les petits d’hommes en inadaptés sociaux. Impuissants à exister hors de leurs parents, ils finissent par endosser le rôle de :
- victimes, lorsque leur libido (2) se retourne contre eux mêmes sous forme de dépression, tendances suicidaires/addictions ou soumission à l’autorité brutale
- bourreaux, lorsque leur agressivité trouve un exutoire à travers une violence verbale ou physique
- les deux, au sein de relations de co-dépendances
Ah, si l’homme pouvait renoncer à dresser tout ce qui résiste à son égo! L’éducation pourrait alors ressembler à un cordon ombilical : d’abord canal nourricier, il s’assécherait et se distendrait au fur et à mesure de la croissance de l’individu jusqu’à se couper naturellement lorsqu’il atteint l’autonomie. Détaché de ses tuteurs parentaux parce que son âme est mûre, l’enfant devenu adulte partirait ensemencer le monde avec leur bénédiction. Les ayant libérés de leur responsabilité, il permettrait à ses parents de retourner leur énergie vers l’intérieur pour s’écouter, se soigner et se chérir, bouclant ainsi le cycle naturel de toute incarnation.
(1) souvent le conjoint, surtout si son apport matériel ou émotionnel est perçu comme insuffisant (petits revenus, santé précaire…etc)
(2) énergie sexuelle chez Freud, psychique chez Jung; les deux définitions se rejoignent sur le terrain d’une impulsion dynamique, un élan vers la vie