Observer ses pensées
Une expérience profonde
Par Dominique Banizette, formatrice en Qi Gong
Quand assis en méditation, une pensée s’élève, vous pouvez : soit la laisser passer et rester disponible à l’état vacant qui est là, soit l’observer attentivement. Si vous l’observez, elle va rapidement s’échapper, car les pensées n’aiment pas qu’on les observe. Essayez de ne pas la laisser pas partir tant que l’observation n’est pas terminée. C’est difficile, il faut être vigilant, car elle va tout faire pour vous distraire. Et si vous vous absentez, même un tout petit instant, elle peut se transformer si subtilement que vous n’y voyez que du feu. Car elle est rusée et capable de vous faire croire qu’elle est claire et limpide, ou au contraire tellement ennuyeuse que sans vous en rendre compte votre vigilance décroît et vous vous endormez. Ou encore qu’elle est si énorme que vous lâchez prise tellement la tâche vous semble irréalisable.
Rester vigilant
On a l’impression que les pensées sont de petites choses sans consistance, et pourtant elles disposent d’une puissance et d’une mobilité qui les rendent difficiles à contrôler. Et puis il y en a toujours une pour remplacer l’autre ! Et plus vous essayez de les éloigner, plus elles se précipitent pour envahir votre conscience. Cependant, après quelque temps d’entraînement, il semble plus facile de rester dans l’observation. Alors, très content de sa réussite, on oublie de rester vigilant. Mais si au lieu de caresser notre ego, nous exercions vraiment notre vigilance, nous pourrions observer que derrière notre attention, le flot incessant des pensées continue de défiler. Il faut alors aller les déloger. Ce n’est finalement pas très compliqué, car, dès qu’elles se sentent découvertes, les pensées s’enfuient au plus vite. Ce qui est plus compliqué, c’est de se rendre compte de leur présence. Alors, pour les débusquer vraiment, on se dit qu’il faut essayer de trouver leur source, là où elles sont fabriquées. Et on cherche longtemps en nous-même, ça occupe pendant l’assise ! On cherche dans le cerveau… car une pensée, n’est-ce pas, ça doit venir de là ? Mais les pensées défilent sans que l’on puisse les relier le moins du monde à un quelconque lieu de notre cerveau. Alors on se dit qu’elles doivent être liées à nos émotions. Et on cherche… Mais rien encore à cet endroit-là. Et on cherche… dans les os, les muscles, la peau… Mais rien. Alors désemparé, désespéré, on lâche prise. Tant pis ! Qu’elles viennent d’où elles veulent ! Moi j’ai besoin de calme !
Enfin, je les vois arriver de loin !
Et c’est alors que, tranquillement assis sur son coussin, sans plus penser à rien, l’esprit enfin libre et détendu, une pensée arrive. Tout doucement. Et avec ébahissement, nous la voyons arriver de loin, comme à l’extérieur de nous, et se rapprocher comme pour pénétrer à l’intérieur. Nous comprenons alors, à la fois émerveillé, fasciné, et quelque peu vexé quand même, pourquoi jusqu’à présent nos pensées avaient toujours gagné à ce jeu de cache-cache que nous avions engagé avec elles. Elles arrivent de loin ! Comme de l’extérieur ! Ca devient alors facile de les laisser passer, il suffit de ne pas les laisser entrer! Facile aussi de les observer : on peut tourner autour, dessus, dessous, sur les côtés, dedans, dehors, les détailler, les ressentir… C’est jubilatoire !
Mais alors… où suis-je ?
Mais alors, si la pensée se trouve à l’extérieur, où suis-je moi qui l’observe et tourne autour ? Et puis, c’est quoi l’intérieur et l’extérieur dans cette histoire ? Et là, quel vertige ! Plus d’intérieur, plus d’extérieur, juste un espace et rien dedans. Les pensées ? Elles ne sont pas là. Et « je » ? Pas là non plus, plus personne, un espace vide. La première fois, c’est effrayant ! Vite, retrouver des limites et remplir cet espace trop grand, trop vide. Retrouver des pensées. Et moi qui observe, je veux bien être à l’extérieur ou à l’intérieur, je m’en fiche, mais je veux « Etre ». Et de nouveau le coussin, et un calme pas très calme et quelque part, la sensation d’avoir fait une découverte, d’avoir vécu une expérience profonde. Et heureusement, la deuxième fois, ça fait moins peur. C’est même très réconfortant et nourricier.
Mais l’expérience de ce grand vide reste exceptionnelle. Ce qui est là tous les jours, lorsque l’on a saisi que les pensées ne naissent pas de ce que nous appelons « moi » mais de quelque chose de beaucoup plus vaste, et que ce « moi » les attire tel un aimant, pour se les approprier comme il s’approprie tout ce qui est à sa portée, c’est-à-dire à portée de nos sens. Lorsque l’on a compris que « je », l’Etre, notre Etre, n’est pas non plus seulement à l’intérieur de notre corps physique comme le « moi » tente de nous le faire croire ou comme on tente de le croire pour se rassurer, par peur d’être trop vaste. Lorsque l’on a ressenti dans tout son Etre que notre corps physique n’est pas une limite, que notre peau n’est pas une séparation, que notre corps énergétique est aussi vaste que l’univers et que notre Etre est la totalité de la vie. Lorsque l’on a vécu tout cela très profondément, alors, chaque jour, assis sur son coussin, ou pas, la partie de cache-cache avec les pensées peut continuer paisiblement, tranquillement, et avec le sourire. Il n’y a plus de gagnant, plus de perdant, plus rien à prouver, juste encore à expérimenter. Comme un parent paisible, attentif et indulgent permet à son enfant en jouant avec lui de faire les expériences qui l’amènent à l’apprentissage de la vie.