Les « Mouvants »
Objets-scuptures de Bernard Reyboz
Isabelle Martinez nous fait découvrir l’œuvre de Bernard Reyboz, artiste contemporain dont l’approche manifeste avec poésie la vitesse lente des mouvements internes.
Certaines œuvres d’art nous plongent au cœur d’un vivant. Ainsi je reste fascinée par les formes biomorphiques de Jean Arp (1886-1966) qui, dans ses bas-reliefs, m’ouvrent à un univers en perpétuel changement, fait de constellations poétiques qui se déclinent à l’infini. Les mobiles de Calder (1898-1976 ) quant à eux, vibrent au moindre souffle d’air, ravivant dans l’espace la poésie d’une nature. J’entrevois de la même manière dans certaines toiles de Kandinsky (1866-1944) le mystère d’une création dans l’apparition de ces êtres hybrides multicolores flottant dans l’air comme des transmutations invisibles que seul l’artiste parfois semble percevoir. Ces œuvres d’art nous invitent à plonger dans un espace de contemplation, à en percevoir un silence, un espace dans lequel l’humour participe au sentiment d’un merveilleux. Bernard Reyboz quant à lui préfère s’affilier à une grande famille d’artistes, celle qu’il ne nomme pas mais avec qui il partage les préoccupations « d’écriture graphique » qui aide à l’expression… « Chacun utilise ses propres signes qui l’aident à constituer son « univers ». Je pense faire partie d’une famille d’artistes qui tournent autour des mêmes univers avec des signes personnels ». (B. Reyboz)
S’émerveiller
Si l’art s’aborde dans une histoire et son contexte culturel, il reste cependant pour la plupart d’entre nous relié le plus souvent au sentiment d’un premier regard. C’est de cette façon-là que j’ai ressenti les « Mouvants » de Bernard Reyboz. Ces sculptures objets au mouvement subtil et mystérieux ont réveillé chez moi un sentiment primordial d’émerveillement : celui qui nous fait ouvrir la bouche en cœur dans notre inspiration, fait naître dans nos yeux des étoiles, imprègne notre cœur d’une évidence apaisante… Il y a un écho à ce que nous pouvons ressentir intérieurement dans nos pratiques énergétiques, cette sensation de motilité qui nous relie au cœur d’un vivant se situant entre naissance et mort. Animées par un mécanisme, ces formes pulsent avec autant de nuances qu’un être né de l’univers : créatures hybrides et complexes, elles nous entraînent au fond de l’Océan, nous évoquent des paysages de contrées inconnues ou bien se manifestent comme des incarnations sexuées, poétiques et emplies d’humour. Uniques par la variation des effets visuels qui recouvrent leur texture et leurs formes variées, les Mouvants s’insèrent chacun dans leur présence à un processus miraculeux à nos yeux, celui d’une vie sans cesse naissante, celle observée par l’artiste : « Cette observation vient de ma curiosité qui très tôt dans ma vie m’a donné l’occasion d’être le spectateur fasciné de l’intelligence, de la beauté et de l’inventivité de la nature qui au premier et au dernier de ses atomes met tout en place pour sa construction. Le dessin et le modelage permettent des expéditions dans ce monde ». (B. Reyboz)
La naissance des Mouvants
Elles semblent si vivantes, pulsées par leur mécanisme invisible et leur matière élastique que je me suis interrogée sur leur naissance. J’ai alors remonté leur filiation dans la découverte des travaux antérieurs. Constituée par des familles, « chaque période de Bernard Reyboz porte en elle l’histoire de la précédente » (B. Reyboz–Catalogue raisonné, artstoarts 2009). Ainsi celle précédent les Mouvants nous plonge au centre d’un peuple appelé Tripodes. Ces créatures modelées dans de la terre ont surgi à l’insu de l’artiste qui a ainsi constitué une tribu, puis les a mises en scène pour leur composer des histoires anecdotiques : « C’est à mon insu que les Tripodes sont arrivés dans mon atelier […] Dans un moment de distraction, j’ai modelé avec de la terre un petit sujet à trois pattes surmonté d’un long cou qui portait une spirale. J’ai déposé ce sujet dans un coin de mon atelier et je suis retourné à mes occupations optiques et minérales ». (B. Reyboz–Catalogue raisonné, artstoarts 2009) Ces occupations optiques et minérales sont faites de séries d’œuvres statiques : les Monolithes (des galets recouverts de symboles et dont le noir et blanc rendent plus visibles les signes) et les Champs de Percussions, effets de matière, de texture, qui sonnent visuellement dans l’espace, dans un jeu de plein et de vide. Le mouvement suggéré dans ses multiples formes va ainsi se manifester à travers les Mouvants : « Les Mouvants sont nés du besoin qu’avaient mes pièces statiques de participer à un jeu nouveau, d’adapter de nouvelles règles pour suggérer la vie ». (B. Reyboz)
Art et sensation
Certaines œuvres s’adressent à mon mental, et d’autres encore à mes pulsions vitales. Le processus créatif inhérent à ce que l’on contemple se communique dans une interactivité. Ainsi lorsque je regarde les Mouvants, je suis émue. Et ce qui me traverse touche mon espace sensoriel. Je me rapproche alors de l’espace qui les a fait naître, de son auteur et de sa sensibilité, celle qui me relie aussi comme il nous en témoigne à ce dont il s’est lui-même relié : « Je me relie à mes sensations car ce sont elles qui me relient au monde et à la vie… Ces sensations sont le fruit de multiples compositions empruntées au réel qui d’une certaine manière devient pénétrable à nos émotions ». (B. Reyboz)
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