La vie en Vert
La Guérilla Jardinière
Dans les villes, des mégalopoles aux petites villes de province, béton gris, saleté, terre-pleins austères, espaces abandonnés et pollués, odeurs nauséabondes, font bien trop souvent partie de notre environnement… Et trop peu d’entre nous ont la chance d’avoir un bout de jardin ! Nous sommes des millions à vivre dans ces paysages, en pilote automatique. Souvent, on se résigne, on ferme les yeux, et même, on respire le moins possible. Le lien avec la nature s’étiole et nous avec. Mais alors, c’est quoi la place de la nature dans notre vie ? C’est surtout l’arrivée du printemps : tout d’un coup, une folle envie de vert, de couleurs, de senteurs nous assaille. Vite, acheter un pot de fleurs pour nos rebords de fenêtre… On lézarde dans les parcs et les squares envahis par la foule. La nature, c’est aussi la parenthèse des vacances : on va randonner, se régénérer à la vue de vastes horizons, etc., et puis on retrouve la ville pour le reste de l’année. On rêve de forêts primordiales en écoutant Deep Forest. Mais voilà que les choses commencent peut-être à changer.
Nos paysages urbains sont le reflet de nos paysages intérieurs…
Et si nous ouvrions les yeux ? Et si nous regardions la ville en face ? Des sondages récents montrent qu’une vaste majorité de Français juge que le végétal et les espaces verts, perçus comme indispensables au bien-être et vecteur d’éducation à l’environnement, manquent en ville. En fait, même inconsciemment, vous percevez votre environnement et vous savez bien au fond de vous-même combien le gris et le sale vous affectent. Et nos paysages urbains sont le reflet de nos paysages intérieurs. Alors que faire ? Comment changer le visage de la ville ? Comment assumer nos responsabilités tout en gardant le cœur léger ? En trouvant les accès qui mènent à notre vitalité et à notre force de détermination. En nourrissant le sentiment d’appartenance à la Terre, en écoutant notre sensibilité, en stimulant notre sensorialité, en comprenant les principes de l’écopsychologie(1) (qui croise l’écologie, la psychologie et la spiritualité), en s’initiant à l’écologie corporelle à travers des pratiques telles que le Wutao.
Ainsi, les idées germent peu à peu, les initiatives fleurissent.
L’agir vert !
En mai dernier, la France a découvert la guérilla jardinière (Guerrilla Gardening), un mouvement « underground » qui essaime dans le monde depuis quelques années déjà : Londres, New-York, Los Angeles, San Francisco, Toronto, Miami, Zurich, Vienne, Berlin… Et à présent, Paris, Rennes, Nantes, Lyon, Lille, Grenoble, Toulouse, Bordeaux.
La guérilla jardinière est une forme d’action directe citoyenne, écologiste et non-violente, qui utilise le jardinage « sauvage » comme moyen d’expression. Concrètement, il s’agit de créer des îlots de verdure, de semer et planter dans des endroits publics ou privés délaissés, sans autorisation, de faire pousser des fleurs ou des légumes. En général pratiquée de manière spontanée par des guérilleros isolés, ceux-ci cherchent ensuite à se relier, à s’organiser en tribus, via les réseaux sociaux virtuels, pour initier des opérations clandestines menées de nuit, ou parfois des coups d’éclats, tels ceux orchestrés lors de la Journée Internationale de la Guérilla Jardinière, créée en 2007. Celle-ci a lieu le 1er mai dans le monde entier, avec pour emblème le tournesol. Au printemps dernier, les médias français y ont consacré de nombreux articles, tandis que paraissait le premier livre en français sur le sujet : « La Guérilla jardinière », la traduction du manifeste de Richard Reynolds, tête pensante du mouvement et fondateur d’un groupe particulièrement dynamique basé à Londres(2). Reynolds, qui se pensait l’inventeur du terme de Guérilla Jardinière lança en 2004 le blog www.guerrillagardening.org. Il apprit alors, via Internet, l’existence de diverses initiatives dans le monde, et notamment l’histoire exemplaire de Liz Christy et des Green Guerillas.
La création des jardins communautaires
C’est Liz Christy, une jeune artiste new-yorkaise, qui créa en fait le terme en 1973. Liz ne supportait plus les détritus qui jonchaient un terrain vague à côté de chez elle, dans le secteur du Lower East Side. Ayant remarqué des pieds de tomates qui poussaient sur des tas d’ordures, elle décida avec l’aide d’amis du quartier, d’y répandre des graines et de le nettoyer. Il naquit ainsi l’envie de créer un jardin communautaire. Leur aventure fut repérée par le New York Daily News qui la qualifia d’acte révolutionnaire et de lueur d’espoir. Très rapidement, Liz et ses troupes furent sollicitées dans d’autres quartiers de New York pour aider à créer d’autres jardins communautaires. Plantations de pieds de tomate, lancers de bombes à graines… Peu à peu émergeaient sur les décombres et terrains vagues des explosions de couleurs et ces pionniers démontraient les possibilités d’embellissement de l’environnement urbain. En 2002, après des années de lutte pour assurer la sauvegarde du jardin de Liz, celui-ci fut reconnu officiellement par la ville de New-York(3). Cette histoire inspirante reste d’actualité.
Pourquoi un tel engouement ?
Le succès du mouvement réside dans son côté original, spectaculaire, illégal. Il est convivial et transgénérationnel. Il nécessite peu de moyens et juste un peu d’imagination. Bien en phase avec l’air du temps, il fait écho aux préoccupations environnementalistes. Les jardiniers de l’ombre se cachent derrière des pseudonymes et des matricules et agissent sur les forums et les blogs. C’est un jeu, un moyen d’action praticable par tous et en tous lieux : « La guérilla gardening consiste bien plus qu’à refleurir les coins délaissés de nos villes. Elle a aussi pour but de faire passer un message appelant les gens à réinvestir leur quartier, se retrouver entre voisins pour entretenir leurs plantes d’interstices et faire rêver les passants qui redécouvrent le potentiel des espaces urbanisés, gris et sans vie… » explique Gabeu, une figure emblématique de la Guérilla Jardinière en France.
Le jardinage engagé
Selon le système actuel et l’opinion dominante, qui veut jardiner doit : soit posséder son propre terrain, soit être employé ou être autorisé par un propriétaire à jardiner sur son terrain. Or, en ville, la quasi totalité des habitants sont des « sans-terre ». Les activistes de la Guérilla Jardinière prônent l’occupation sans autorisation d’endroits négligés, de terres abandonnées ou polluées pour les transformer. Cette fronde défend le droit à la terre et la réforme agraire et interpelle les pouvoirs publics et les citoyens. Elle affirme que prendre soin et faire bon usage de l’espace public est une responsabilité collective et aussi individuelle.
Dans certaines villes, le concept de Guérilla Jardinière a inspiré des actions, comme l’opération « Laissons pousser ! » proposée au printemps dans une quinzaine de villes franciliennes(4). Guérilla Jardinière, jardins partagés, ou encore Parking Day(5), ces initiatives ont le mérite de nous sortir de notre apathie et de nos inhibitions. Elles nous ouvrent les yeux sur ce que pourrait être notre planète si tout le monde s’en sentait responsable. Ce mode de jardinage n’est-il pas une magnifique métaphore qui nourrit notre vitalité personnelle, nous inscrit dans une action globale et favorise notre sens de la communauté ? Richard Reynolds écrit : « Plus on voit, plus on pense, plus les possibilités deviennent apparentes et évidentes… Entraînez votre regard ! ».
(1) « Ecopsychologie pratique et rituels pour la Terre », Joanna Macy, Molly Brown, Le Souffle d’Or, 2008
(2) « La Guérilla jardinière », Richard Reynolds, éditions Yves Michel, 2010, yvesmichel.org.
Site de Richard Reynolds : GuerrillaGardening.org. Guérilla jardinière France : www.guerilla-gardening-france.fr
(3) Le Jardin communautaire de Liz Christy : www.lizchristygarden.org & vidéo sur le Bowery Houston Gardens : www.youtube.com/watch?v=HNAz4Sf5_aU
(4) www.laissonspousser.com
(5) Parking Day : événement mondial qui pose la question du piéton et des espaces verts dans l’espace urbain. parkingday.fr