Kate, Frida, Véronique et les autres
Comme tant d’autres femmes depuis que l’humanité est consciente de son petit nombril, je vis l’aube de la quarantaine comme une seconde adolescence, c’est-à-dire une crise de croissance où cette fois l’enjeu n’est plus d’accéder à une autonomie matérielle mais ontologique. Assaillie de doutes et de remises en questions, la relecture plus ou moins profonde de mon vécu depuis l’enfance révèle une évidence : lorsque je crois sombrer, la main tendue et l’étoile-guide viennent toujours de la sororité.
En premier lieu des amies fidèles dont la présence joyeuse masque pudiquement la volonté inflexible d’un amour protecteur ; en second lieu, des affinités virtuelles avec des artistes qui par leur œuvre-vie éclairent des sentiers que je pourrais emprunter ou contourner pour grandir. Je m’en voudrais de léser les premières par un listage maladroit – elles se reconnaîtront, c’est l’essentiel – c’est pourquoi je ne parlerai ici que des secondes.
L’écoute de Kate Bush fut une révélation d’autant plus intense que je n’avais que dix ans. Je ne comprenais pas encore ses textes, mais je ressentais dans ses interprétations la fougue et l’audace créative qui bouillonnaient en moi. Je la trouvais belle parce qu’elle était elle-même, inclassable et vivante, parlant d’amour et de sexe sur un ton tantôt grave, tantôt comique, mais toujours incroyablement libre. De mes voyages intérieurs dans son univers, je suis revenue porteuse de ceci : s’affranchir des codes esthétiques n’est rien si l’on n’est pas capable de s’affranchir du regard d’autrui.
Cette quête d’authenticité et d’existence par soi-même, je l’ai d’abord cherchée dans l’art. J’y ai rencontré mon ombre sous les traits de Frida Kahlo et Camille Claudel, tandis que ma vie personnelle m’initiait à l’amour et à des questionnements qui depuis ne m’ont jamais quittée : si l’incarnation de l’absolu n’a de sens que dans le partage, existe-t-il un homme avec lequel une véritable co-création soit possible hors de toute rivalité ou hiérarchie ? Peut-on être aimée pour soi, au-delà du désir suscité par le corps ou de l’expression d’une tendresse maternelle compensatoire ?
J’ai épuisé bien des liens amicaux-amoureux à batailler avec des hommes pour gagner leur estime et les amener de force à me voir comme un individu ; je réalise aujourd’hui que j’en ai peut être oublié de recevoir avec gratitude leur amour. Alors quand la solitude existentielle pointe le bout de son nez, je me tourne vers la sœur Amoureuse(1) qui malgré les souffrances n’a jamais abdiqué de son pouvoir personnel, Véronique Sanson, et je chante avec elle:
C’est difficile, le choix d’une vie
Je rêve de choses dont j’ai réellement envie…(2)
Et vous ?
(1)titre d’une chanson de Véronique Sanson
(2) extrait de Vancouver