Transition et résilience
Quand la conscience de la société civile s’éveille
Tandis que nous nous apprêtons à écrire les premières pages de 2011 dans une ambiance frileuse, voire anxieuse, un mot nouveau déferle sur la France et suscite curiosité et enthousiasme parmi les acteurs de la société civile, en particulier du côté des Créatifs Culturels : TRANSITION.
La propagation de ce terme s’appuie sur une publication disponible en français depuis cet automne : « Le Manuel de Transition », seul livre existant à ce jour sur le mouvement émergeant Villes en Transition qu’on appelle aussi « Transition Network ». Ce livre est un guide méthodologique aux grandes qualités pédagogiques, un outil fondamental pour toutes celles et ceux qui veulent prendre leur vie en mains et construire le changement, ici et maintenant. Le concept de Transition correspond aussi à un état d’esprit qui anime des recherches de solutions concrètes, alliant conscience individuelle et intelligence collective. Danielle Grunberg, « ambassadrice » en France du mouvement Ville en Transition était invitée au salon Marjolaine le 12 novembre dernier pour une table ronde. Son intervention a séduit le public.
Alors, c’est quoi cette Transition ?
A première vue, la Transition se fonde sur des scénarios économiques et sociaux à court terme plutôt dramatiques et un constat : nos sociétés sont devenues totalement dépendantes du pétrole. Or, sans pétrole, la quasi totalité des produits et des activités autour desquels gravite notre vie ne seront plus disponibles, au point de mettre en jeu notre capacité de survie. Les grèves qui ont eu lieu récemment en France ou en Grande-Bretagne il y a déjà quelques années ont révélé les failles majeures de notre système : à peine quelques jours de paralysie et les citoyens d’un pays ressentent directement leur insoutenable niveau de dépendance, du côté des carburants bien sûr, mais aussi pour l’accès à l’alimentation par exemple. Notre autonomie individuelle et collective est donc trop faible, et jusque-là, nous n’en étions même pas conscients !
Les changements climatiques et le pic pétrolier — ce pic est la date à laquelle la courbe de production mondiale n’augmentera plus. Il marque la fin d’un pétrole conventionnel peu cher ; selon le rapport de l’Agence Internationale de l’Energie de novembre 2010, ce cap a bel et bien été franchi — sont deux des grands défis de l’humanité au 21e siècle. La conjonction liée à la crise du capitalisme financier actuelle rend évidente les limites du modèle économique basé sur le mythe de la croissance à l’infini, croissance qui dépend de l’énergie.
La fin de l’abondance énergétique, qui marque la sortie du paradigme industriel moderne, exige un changement draconien de nos habitudes de vie, à commencer par la sortie de nos dépendances. Il y a nécessité d’engager une Transition énergétique, économique, sociale, afin de mettre fin à notre vulnérabilité collective.
Puisque les gouvernements n’ouvrent pas la voie, refusent de prendre les mesures qui s’imposent, et que les hypothétiques accords internationaux s’enlisent, c’est aux citoyens qu’il revient de prendre l’initiative et d’assumer la responsabilité de la transition. Et c’est exactement de cette attitude de responsabilité, de souveraineté, que naît la posture d’espoir et même d’enthousiasme.
Comment créer la résilience ?
Le fameux Manuel de Transition est consacré aux solutions qui permettent de construire dès aujourd’hui des communautés « résilientes », conscientes et capables de surmonter les chocs à venir. C’est un ouvrage fondateur, précurseur et inspirant : il présente en détail des outils et des pratiques de changement à mettre en œuvre pour préparer proactivement l’avenir à l’échelle locale, et aller en premier lieu vers la « descente énergétique ». Aspect essentiel : la Transition, ce n’est pas se protéger ou se replier sur soi, mais nourrir sa vitalité pour évoluer, accompagner le changement en ouvrant son cœur et saisir l’opportunité d’inventer une vie meilleure, plus équitable, en tenant compte des réalités et contraintes spécifiques dans les territoires concernés. Une approche lucide, pragmatique, conviviale et résolument optimiste.
Transition Town Totnes
Rob Hopkins, enseignant en permaculture (« culture permanente », système qui vise à créer des sociétés humaines soutenables) a lancé en 2006 l’initiative « Transition Town Totnes », dans une ville du Devon de 8500 habitants, qui est devenue la « capitale mondiale de la transition dans le monde de l’après-pétrole ». Elle eut un extraordinaire impact sur la population et fut spontanément reprise par d’autres groupes de citoyens au Royaume-Uni. Ainsi est né le mouvement de Transition. Hopkins et son équipe de collaborateurs ont eu le génie de répertorier et d’adapter les meilleures expériences de groupes existants pour élaborer une méthode globale. Celle-ci inclut notamment : les principes de la permaculture, la redécouverte des capacités de chacun, la réhabilitation du système-D et des savoirs anciens, le sens de la communauté et la joie du vivre ensemble. Les valeurs appliquées sont ainsi celles-là même que portent les Créatifs Culturels. La méthode aide les habitants à se rassembler pour agir, ici et maintenant. Il suffit d’être capable de fermer les yeux un instant et de visualiser le plus précisément possible où et comment nous aimerions vivre en 2030. Puis de se dire que c’est possible !
Le mouvement Transition essaime rapidement dans le monde. Il y a 338 Initiatives de Transition officielles, et plusieurs centaines de projets encore en gestation dans une quinzaine de pays répertoriées par le réseau international Transition Network. En France, sont répertoriés 17 « Territoires en Transition ».
Concrètement, se déclarer « en Transition », c’est créer un collectif dans sa ville ou dans son quartier autour de tous les principes énoncés dans le Manuel : planter des arbres fruitiers, apprendre à la population à cultiver un potager, créer des jardins partagés, réorganiser la production énergétique, organiser le recyclage et la réparation d’équipements, développer le transport actif, organiser l’échange des savoirs, réapprendre les savoir-faire oubliés au 20e siècle. Tant d’actions concrètes que les citoyens peuvent réaliser au sein de leur village, leur ville, ou leur quartier… Regardez le film « In Transition » et vous direz peut-être à votre tour : alors, on commence quand ?