Le défi de l’hétérosexualité
Quoiqu’on m’en dise, et en dépit d’extraordinaires facultés imaginatives – fréquentez-moi un peu et vous verrez si j’exagère – je reste convaincue d’une chose: on ne peut parler authentiquement que de ce que l’on éprouve en conscience. J’ai beau être une ardente défenseuse de la liberté d’identité sexuée et sexuelle, je ne peux nier que mes choix dans ces domaines limitent mon expérience, et que si mon mental est avide de trouver un sens psycho-spirituel valeureux à tous les possibles, mon âme densifiée ne peut partager que ce qu’elle connaît. En l’occurrence, l’hétérosexualité dans toute son ambivalence.
Ma subjectivité inscrit en premier lieu son appétence pour la différence dans la corporalité, définissant l’hétérosexualité comme un accueil volontaire en soi de l’altérité totale. Dans l’acte d’amour charnel c’est alors un “oui” inconditionnel à cet autre qui ne me ressemble pas, qui me fait cadeau de son étrangeté tout comme je lui offre la mienne, pour que l’enchevêtrement cérémoniel de nos membres évoque l’espace d’un instant l’unité primordiale. Du point de vue pulsionnel, l’extase apparaît comme une récompense, occultant la dimension pédagogique de toute rencontre bipolaire.
En effet, ce que l’ego me rappelle cruellement plus souvent qu’à son heure, c’est que l’objet de jouissance que s’approprient mes sens, c’est aussi – voire, peut-être, avant tout – un partenaire qui se propose de me faire progresser sur le chemin de l’amour. Il dispose à ce titre d’une volonté qui vaut bien la mienne; hélas, nous sommes prompts à l’oublier.
J’ai reçu cette leçon en passant le test Rorschach. Associant la symétrie de l’une des planches à une femme face à un miroir, je me suis surprise à projeter “son corps et sa tête sont en conflit, ils ne regardent pas dans la même direction”, ce que j’ai bientôt traduit par “mon corps répond à l’appel de l’autre, mais mon esprit résiste obstinément à entrer en relation intime authentique avec lui”. A l’inévitable “Pourquoi?”, j’apporte aujourd’hui cette réponse qui, à défaut d’être universelle, résonnera vraisemblablement en certain(e)s d’entre vous: mon ego ne parvient pas à pardonner aux hommes (1) leurs abus de pouvoir historiques, pas plus qu’il n’absout les femmes de leur difficulté à s’affranchir du désir que leur inspirent ceux qu’elles ont laissé devenir leurs “maîtres”. Je me découvre donc écartelée entre l’honneur du féminin blessé et son aspiration à abandonner sa vulnérabilité à l’étreinte rassurante d’une force masculine…
J’aime à croire, lorsque je touche de l’âme certains états de lucidité, que le mal(e) est aussi le remède. C’est donc de l’homme que viendra la guérison des femmes, mais il nous faudra pour cela passer de l’agressivité passive à l’assertivité. Car au royaume du paradoxe, la posture est magicienne: si je mendie ton amour je deviendrai bientôt ton esclave amère et t’enseignerai à m’humilier, si je t’achète en flattant tes bassesses je t’apprendrai à m’exploiter comme le proxénète sa prostituée; dans les deux cas, je ne manquerai pas de te le faire payer… sans pour autant prendre le risque de te quitter! Mais si j’ai l’audace de t’initier selon mes propres règles aux mystères de mon être incarné, je te donne la possibilité de polir ta virilité brute pour m’éveiller en douceur à ce que tu portes naturellement en toi: l’affirmation décomplexée de ton identité.
Le jour viendra où nous poserons les armes et cesserons de nous jauger avec méfiance, où nous constaterons avec satisfaction que nous avons relevé le défi de l’hétérosexualité.
(1) rappelons que le genre n’est pas le principe masculin!