Bouddhisme Chan
L’art de méditer en Chine
Par Daniel Odier, écrivain et spécialiste du shivaïsme cachemirien
Dans notre tradition, la méditation silencieuse n’est pas une activité mais la manifestation d’un état, celui de l’esprit nu, spatial et inconditionné. Les grands maîtres de la dynastie Tang (618-907), dont Zhaozhou, l’ancêtre de ma lignée, est l’un des représentants emblématiques, insistaient avant tout sur le naturel, la fluidité, le spontané. Leur approche de la méditation était celle d’êtres libres, illimités, goûtant la beauté, la poésie, la calligraphie, la peinture et la musique. Le bouddhisme des Tang s’est ainsi dégagé de la complexité indienne, de son puritanisme, de sa frayeur de la femme et l’on peut dire que cette dynastie a baigné dans l’indépendance et la grâce, ramenant le bouddhisme à son essence. Ces tigres du dharma étaient de sérieux iconoclastes. Ils volatilisaient un à un tous les clichés pour ramener crûment et parfois violemment chaque être à son essence de Bouddha, à sa nature originelle.
Bodhidharma est le premier exemple frappant de cette méthode directe : Un Bouddha est comme l’espace. Si vous cherchez une réalisation directe, ne vous attachez à aucune apparence, quelle qu’elle soit et vous réussirez. Ce qui est libre de toute forme est Bouddha. Les doctrines ne servent qu’à pointer l’esprit. Si vous voyez votre propre esprit, pourquoi prêter attention à la doctrine ? Et Xu Yun, (1839-1959) mon « grand maître » : Si pendant une seconde vous faites l’expérience du non-né, les portes du dharma sont inutiles. Dans ces conditions, on comprendra que l’approche de la méditation soit elle aussi originale. L’important est que le corps soit souple, créatif, en communication avec l’espace infini, laissant le mouvement subtil des organes communiquer avec le mouvement cosmique. Ce n’est pas une fermeture en soi mais une dilatation du corps, une compénétration de la matière corporelle et de l’espace.
Nous ne sommes pas très stricts sur la posture elle-même, contrairement aux Japonais, car nous insistons beaucoup sur le naturel, concept profondément chinois. Nous cherchons à rendre le corps aussi fluide qu’une cascade, aussi spacieux que le ciel. Les maîtres de la dynastie Tang vivaient dans les monts embrumés et de cette solitude grandiose, ils ont tiré une leçon profonde. Légèreté, spontanéité, naturel.
Pas question de trancher quoi que ce soit. Pas question de résider dans un vide qui ressemblerait à une caverne obscure : La pensée est comme un chat sauvage. On n’utilise pas un chat sauvage pour dompter un chat sauvage dit Hanshan. Alors, peu à peu on goûte à l’illumination silencieuse. Pour nous, il y a conscience de la nature spatiale et lumineuse de l’esprit. Lorsqu’il y a inconscience, on dit que c’est la maladie du Chan. Le sixième Patriarche l’a dit clairement: Arrêter l’esprit est pathologique.
L’un des aspects les plus intéressants de notre approche consiste en l’alternance de la marche et de la méditation dans les Chan Qi, les séances de pratique intense. Après quarante-cinq minutes de méditation dos au mur, nous marchons assez vivement et d’une manière très libre autour du Bouddha central. Peu à peu, une harmonie se crée et cela forme une sorte de grand mandala vivant, le maître fermant le cercle de feu en suivant autour du cercle formé par les disciples un trajet carré. Le son des robes sur les jambes produit une musique envoûtante, le corps se dynamise et se prépare à une seconde session de méditation assise. Les percussions, bois ou cloches ou gong sont très importants. Ils rythment la pratique. Beaucoup de méditants ont connu l’éveil en entendant un son. Enfin, nous utilisons les Kong-an (koan), ces effaceurs de dualité qui permettent de fixer l’attention sur un point et d’être soumis à une question à laquelle seul le sursaut de l’être peut apporter une réponse : Quelle est la matière la plus urgente ? « Faire face à celui qui a peur de ne pas savoir » dit Yunmen.
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