Archétype ou stéréotype?
L’étymologie ne semble plus faire recette, elle est pourtant précieuse lorsque le sens se fait si élastique qu’il disparaît ou nous égare. Ainsi en est-il de deux notions que les querelles autour de l’identité de genre jettent depuis quelques années sur le devant de la scène: l’archétype et le stéréotype.
Le suffixe « – type » pourrait se traduire par « empreinte », dont les préfixes « arché- » et « stéréo- » qualifieraient ici la dynamique: modèle primitif pour l’une, figé pour l’autre. Autrement dit, quand l’archétype se réfèrerait à une structure fondatrice, première dans son apparition, le stéréotype serait une fixation formelle. Si les deux termes peuvent décrire un même objet, leur origine démontre qu’ils renvoient dans tous les cas à deux réalités différentes que le recours à la pensée jungienne peut nous aider à identifier: l’archétype serait une image intérieure tatouée au fin fond du psychisme, le stéréotype un canon académique dans une société donnée.
Appliqué à la question du genre, ce raisonnement nous amène à postuler ceci: il existe en chacun de nous un modèle identitaire de l’homme et de la femme (niveau de l’archétype), mais notre façon de l’incarner est influencée par le modèle déterminé par la société dans laquelle nous vivons (niveau du stéréotype). De ce point de vue, si l’image gravée dans notre inconscient coïncide avec celle que véhicule la société, l’intégration sociale semble facile et l’on se sent à l’aise dans sa peau genrée. Si à l’inverse notre référent interne diffère, voire s’oppose, à l’interprétation choisie par l’environnement, notre adaptation devient douloureuse, ouvrant la porte à un bras de fer entre les deux types. Poser clairement cette dynamique permet de mieux comprendre ce qui se joue dans les mouvements d’émancipations des genres – notamment dans les choix individuels de sexualités – et les écueils qui les fragilisent.
Car si la remise en question des stéréotypes s’avère nécessaire cycliquement en réponse à l’aspect évolutif de notre environnement – la vie est naturellement changeante – s’attaquer aux racines de notre psychisme à travers les archétypes n’irait pas sans risques. Pareils à des volcans, les archétypes peuvent rester endormis sans pour autant mourir; leur activité au sein de l’inconscient peut être si subtile qu’elle échappe à l’attention du conscient. Vouloir se débarrasser de marqueurs intrapsychiques, dans notre exemple des représentations genrées, pourrait revenir à s’amputer d’un membre psychique vital et à mettre en péril notre schéma « psychocorporel ».
Il en va différemment du stéréotype. Proposition extérieure facteur de cohésion ou de dissension, on peut l’épouser ou le rejeter, en jouer ou se rebeller contre lui. Bien que son étymologie évoque un état statique, le stéréotype reste accessible à la transformation. Mal nécessaire ou accessoire, il reste le reflet plus ou moins déformé d’un archétype. C’est pourquoi nous postulons qu’une réflexion pertinente sur l’identité genrée devrait passer par l’analyse de la perception interne des archétypes concernés, afin de faire éclater la cuirasse stéréotypée qui nous empêche d’en extraire le meilleur.